Une maison "qui respire", c'est quoi?

Publié le par Yoghourt

Sur forum Futura-Sciences, Seboseb s'interrogeait concernant

.....quelques préconisations sur les valeurs à ne pas dépasser si on veut une maison perspirante...

A-ah, très Bonne question!
Mais avant d'y répondre, faut d'abord se mettre d'accord sur ce qu'est une maison perspirante...

Comme à mon habitude dans ce genre de chose, je vais commencer par laisser de côté normes et règlementations officielles, et me concentrer sur les aspects physiques.

C'est facile de comparer deux maisons en disant "celle-ci est plus perspirante que celle-là". Par exemple, un block-haus est plus perspirant qu'une serre en verre, pourtant bien adaptée aux semis. Humpf, la belle affaire! On sent bien que c'est pas pour autant qu'on peut faire d'un block-haus une maison perspirante!(*)
Pour ceux qui sont arrivés un peu hasard en voyant : ce qu'on veut en faire, dans le cadre de ce blog, c'est y habiter. Si une serre bien étanche, c'est top pour faire pousser les semis (c'est la saison), c'est pas top du tout pour qu'on y vive nous!

(*) A ceux qui soutiennent mordicus le contraire, que ce soit par mauvaise foi incurable, endoctrination sectaire, ou tout simplement parce qu'ils n'ont pas plus d'instinct qu'une truite d'élevage, je leur demanderai de passer leur chemin.
Ben oui, si c'est pour de toute façon finir en hurlant, qutant s'y mettre de suite, et ailleurs.


Une maison perspirante dans l'absolu, c'est -pour moi- une maison qui est capable d'évacuer au travers de ses parois la vapeur d'eau générée par ses habitants. C'est l'idée intuitive de la maison "qui respire".
Partant de là, en raffinant la définition au fûr et à mesure, on va pouvoir aligner un calcul de coin de table qui nous donnera un ordre de grandeur.

Premier trou à combler:  dans la définition précédente, un aquarium ou une serre est une maison perspirante. Ben oui: pas d'habitant  et les parois évacue rien, c'est à dire toute la vapeur d'eau générée par les habitants. Ok, c'est pas faux mais franchement carricatural. En plus nuancé, est-ce qu'une résidence secondaire en béton banché habitée 50 jour par an par une famille peut être qualifiée de perspirante?  Et si ce n'est pas 50 mais 1 jour? Et si ce n'est pas 1 famille mais 1 personne? Un enfant ou un adulte? Qui vaque tranquillement ou qui fait la chounga 18h/24? (**) Si notre jolie définition "dans l'absolu" ne permet pas de comparer 2 habitations sans se prendre dans la figure l'intermittence de l'habitation, elle ne va pas servir à grand chose.

(**)Oui, je sais, j'ai vieilli, mais quand même, je n'ai jamais prétendu être capable de du 22h/24 voire 40h/24 en ryhtme de croisière sans tourner à la loque humaine!

Deuxième trou: est-ce qu'on considère une maison isolée? Un appartement? Un abri anti-atomique souterrain? Une cabane dans un arbre? Autrement dit, combien de murs prend-on en compte? De niveaux? Quid des combles et du plancher?

Troisième trou: est-ce qu'on se situe dans un marais? Au pic de l'Aiguille du Midi pas loin du Mont-Blanc? Et puis à quelle période? A Noël sous la neige  ou en avril, ne te découvre pas d'un fil mais garde quand même tes lunettes de soleil à portée de main? (***)

(***) C'est la logique implacable des Anciens: si "Noël au balcon, Pâques au tison",  alors "Noël sous la neige, Pâques aux Ray-Ban"...

En fait, toute la discussion "philosophique" sur la règlementation et les normes se retrouve là-dedans: la façon dont on passe d'une définition intuitive et déjà pas forcément universelle à une définition stricte et universelle, voire testable.
En raffinant progressivement ma définition intuitive initiale avec des hypothèses concrètes, cela consitituera, in fine, la confiture norme "Yoghourt", dont le bien-fondé est tout à fait discutable sauf pour l'auteur (c'est ma norme, j'fais keskeuj'veux, na! )

Un adulte au repos génère 0.06kg de vapeur d'eau par heure, c'est à dire
Dvhab=0.06/3600 kg(vapeur)/s
On va se garder ça sous le coude.

Soit un T2 de 50m², de compacité pas exceptionnelle (rectangle L=2*l), plein pied, hauteur standard 2,5m, abritant 2 adultes. Calmes, j'ai dit! Pas des tous fous teufeurs ou des fondu(e)s d'aérobic.
- Largeur telle que 2*l² = Shabitable <=> l=5m
- surface brute mur et toit Smurs+toit=2*L*H+2*l*H+Shabitable = 125m²

De cette surface, on ôte la surface des fenêtres et portes. Disons une fenêtre 125x100 sur 2 faces, une porte fenêtre 215x210, une porte 215x90
Sfp = 2*1.25*1+2.15*2.1+2.15*0.9 = ~9m²

Ca nous fait une surface nette potentiellement perspirante de S=125-9=116m² pour 2 personnes, soit donc
S/hab=58m²/pers
On va se garder ça sous l'autre coude, comme ça on est bien calé pour piquer un roupillon pendant que le Yoghourt s'excite à griffoner sur la nappe en papier de la table.

On va se placer dans les conditions stationnaires usuelle de ma feuille de calcul (i), soit donc -10°C et 80%HR à l'extérieur, 17°C et 50%HR à l'intérieur. Se placer dans des conditions pareilles, c'est se placer dans des conditions franchement très favorables au transfert de vapeur d'eau.

(i) c'te fainéantise, j'vous jure...
Cela correspond aux pression partielles de vapeur d'eau suivantes:
Pvap(int) = 973 Pa
Pvap(ext) = 209 Pa
Le débit de vapeur d'eau pour 1m² de paroi est alors de:
Qd = (Pvap(ext) - Pvap(int)) / Sd * PI(air)
où PI(air) est la perméabilité à la vapeur d'eau de l'air sec = 1.85E-10 kg/Pa/m/s

Et ça nous avance à quoi? C'est justement Sd ou un truc du genre qu'on cherche! Alors calculer Qd avec...
Mais si, mais si, suffit de connaitre Qd.
Mais on l'a pas!
Ben si, suffit de lever le(s) coude(s). (ii)

(ii)Comme le papa de Gééérraaaaaaaard! (c) Coluche
Euh, quoique, je vous conseille pas de picoler à ce stade, sinon ça va tout vous embrouilaminer...


Sous les coudes, on a un débit de vapeur par habitant et une surface par habitant. On peut en tirer fastoche un débit de vapeur par unité de surface, c'est à dire un premier Qd (iii):
Qd1 = Dvap/hab / Sfp/hab = 0.06/3600 / 58 = 0.287 mg(vap)/m²/s

(iii) les djeuns diraient "comment ça se voitr trop que va y'en avoir un 2e, de Qd..."

Ca fait pas grand chose, hein... Je dirai même que ce chiffre (en milligrammes!) pourrait donner l'impression que la moindre paroi pas complètement étanche comme un aquarium est suffisamment perspirante.
Bon, et si on vérifiait ça? Je sens qu'on va rigoler...

On repasse à Sd maintenant qu'on connnait Qd:
Sd1 = (Pvap(ext) - Pvap(int)) / Qd1 * PI(air) = (973-209)/0.287e-6*1.85e-10
Sd1 = ~50cm
Rappel: le moindre frein-vapeur a un Sd de l'ordre de 2m. Pfuit!, adieu la maison perspirante...
Partez pas, y'a tout de suite le retour de la vengeance du fils pas-content!


On a obtenu une notion de maison perspirante pas vraiment utilisable. Alors que fait-on? On jette intégralement le calcul? Que nenni, on va pousser un poil plus loin notre définition de ce qu'est une maison perspirante "dans l'absolu". Comment? En considérant que la maison est ventilée un minimum en permanence.

Le mini pour cette maisonnette, c'est 1 bouche hygro dans les WC/salle de bain, et 1 bouche hygro dans la cuisine. En ventilation mécanique, qui est le cas le plus courant, le débit mini des bouches d'extraction hydro est de 5m3/h pour WC/SdB et 10m3/h pour la cuisine. D'où le débit minimal suivant:
Dv(air) = 5+10 = 15m3/h = 15/3600 m3/s
Ce débit volumétrique Dv correspond à un débit massique
Dm(air) =  Dv*rho
rho est la masse volumique de l'air. Histoire de ne pas trop se bousiller les neurones, on va prendre rho(air)=1.2kg/m3, à pression standard.
En principe, il faudrait prendre en compte le fait que la masse volumique de l'air dépend de l'humidité (un peu) et de la température (surtout (iv)). Cf Wikipédia .
Dm(air) = 15/3600*1,2 = 0,005kg/s

(iv)
ce qui a rendu célèbres les frères Montgolfier. Vous voyez, je ne dis pas que des bêtises dans mes parenthèses.

On sait (v) que l'humidité absolue est donnée par:
Y = 0.622*Pvap/(Pstandard-Pvap) = masse de l'humidité dans l'air humide / masse de l'air sec

(v) si si, en trifouillant sur le net, par exemple (encore)  sur wikipédia

Rappel: la pression standard, c'est  1013 millibar = 1013 hecto-pascal = 101300 Pa
En valeur, ça donne:
Yint = 0.006
Yext = 0.0013

A notre débit massique Dm d'air ventilé va donc correspondre un débit massique d'humidité:
Dm(vap) = masse humide / temps = masse air sec / temps * (masse humide / masse air sec) = Y * Dm(air) = Y*Dv*rho

Caramba, encore loupé! Euh, je veux dire, on est presque mais pas encore rendu au bout de nos peines.
On a deux pressions de vapeur à considérer: celle de l'air neuf issu de l'extérieur, celle de l'air humide. L'air insufflé apporte de l'humidité, l'air extrait en emporte. Au final, notre chère ventilation nous permet d'évacuer la quantité d'humidité suivante:
Dvap/ventil = Dm(vap intérieur) - Dm(vap extérieur) = (Yint-Yext)*Dm(air)
Dvap/ventil = 23.73e-6 kg/s

Les tétracapillectomistes (vi) qui sont génés par la volumique un peu arbitraire que j'ai prise pour l'air auront corrigé d'eux-même la précédente formule en:
Dvap/ventil = (Yint*rhoint-Yext*rhoext)*Dv , soit donc:
Dvap/ventil = (0.006*1.212-0.0013*1.34)*15/3600 = 23,042e-6 kg/s

(vi) Remarquez que l'art difficile de couper en 4 les cheveux est ici récompensé par une précision accrue de 3%. Je saluerai l'effort en conservant cette dernière valeur, tout en rappelant quand même qu'on cherche ici juste un ordre de grandeur en faisant des calculs de coin de table...

Au presque final (promis, on y est presque), la vapeur -générée par notre sympathique et très patient couple en maisonnette T2, se fait la malle à la fois par la ventilation et par les murs. Ca nous fait un débit de vapeur:
Qd2 = (Dvap/hab - Dvap/ventil/2)/ S/hab
Ben oui, y'a une ventilation, mais elle sert pour les 2 habitants.
Qd2 = (0.06/3600- 23,042e-6/2)/58 = 0.0888e-6 kg/s/m²
Au passage, on remarque que le débit de vapeur par les murs est de Qd2*Spf = 10.3e-6kg/s. Ca fait quand même la moitié du boulot de la ventilation qui est pris en charge par les parois. Ca c'est de la perspiration, crébon d'nom di diou!

Au final (si si, ce coup-ci, c'est la bonne), ça nous une résistance moyenne des parois au flux de vapeur d'eau, exprimé en lame d'air équivalente, de:
Sd2 = (Pvap(ext) - Pvap(int)) / Qd2 * PI(air) = (973-209)/0.0888e-6*1.85e-10
Sd2 = 1.6m en moyenne (vii)

(vii) Je laisse la joie douloureuse aux sodomiseurs de diptères de reprendre l'intégralité des calculs en considérant en plus que la ventilation mécanique provoque une dépression nominale de 80Pa, ou jouer avec n'importe lesqueles des hypothèses de la maisonnette qui ont servi à donner une assise à mes calculs de coin de table. Normal: j'ai plus un coin de libre pour griffoner sur la table

Bien sûr, il faut distinguer dans ce Sd moyen la contribution du toit et celle des murs. Dans notre cas, on a 50m² de plafond et 116-50 = 66m² de mur. En pratique, difficile de descendre sous Sd=1m pour l'isolation d'un toit. Ca nous laisse pour les murs:
Sd = (Sdmur * Smur + Sdtoit*Stoit)/S
Sdmur = (Sd*S - Sdtoit*Stoit)/Smur <= (1.6*116-1*50)/66 = 2m

Sdmur = 2m

La conclusion qui s'impose, c'est qu'on peut dire que pour qu'une maison soit perspirante, le Sd total de ses murs doit être au pire de l'ordre de 2m. Remarquez que c'est pas une grande surprise.

Ceux qui ne dorment pas encore après ce "calcul de coin de table" franchement abrutissant, et ceux qui auront eu la sagesse de dormir entre l'introduction et la conclusion, tout ceux là auront déjà percuté sur diverses choses:
- la maison paille est une maison perspirante
- les maisons ossature bois ne sont pas toutes des maisons perspirantes

- le Sd total est un budget. Au moindre matériau qui craque ou dépasse le budget, faut dire au revoir au concept de maison perspirante...
- corollaire: dans le neuf, faites votre deuil du fantasme de la maison "en dur" et "qui respire".
- corollaire bis: en rénovation, où l'on travaille presque toujours sur des murs en dur (pierre, brique, béton, pisé), parler de "maison qui respire", ça tient plus du rève que de la réalité.


Moralité:
1) c'est pas évident de faire une maison perspirante, c'est à dire qui allège d'au moins 1/3 le boulot de la ventilation en plein hiver
2) faute de grives, mangeons des merles!
Le concept de maison perspirante, "qui respire", c'est en pratique un objectif trop difficile en général. Il vaut mieux se rabattre sur une notion plus accessible de "paroi perspirante". C'est à dire une paroi qui reste saine question humidité grâce à ses capacités de perspiration.


Cette notion de "paroi perspirante" appelle d'autres calculs de coin de table, et une autre définition qui rassemble les hypothèses de ces calculs. Ca sera pour une autre fois, car un doux appel me parvient: "A TABLE!"

(nota bene: j'ai fais la mise en page après le repas, burp!... J'ai pas le courage d'y ajouter des zolies photos et autres schémas)

Publié dans Réflexions diverses

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Y
Dommage de ne pas intéresser à la notion de stockage. Le comportement entre hiver (tout fermé) et été (tout ouvert) est très différent. Quel quantité de stockage d'eau (dans les murs, dans l'isolant) pourrais améliorer le bilan (stockage en hivers, évacuation en été). La capacité de stockage en eau de murs en pierre de 80cm ou en pisé d'une maison ancienne est énorme (mais elle stocke aussi l'eau du sol....). Un p'tit calcul sur un coin de table pour voir si cela peu changer la donne ?
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M
Au temps pour moi, j'avais lu en diagonale votre commentaire. Très bonne idée! Surtout que j'ai toujours dans mes cartons une version mensualisée de la feuille de calcul 'bilan hygrothermique', qui prend la poussière depuis quelques années (ahem...)
L
Supposant avoir un système de ventilation dont le débit est suffisant, est-ce que la solution suivante pour réguler l'humidité est satisfaisante ? :Avoir un hygromètre (ou plusieurs) qui enclenchent la ventilation quand la valeur de consigne est dépassée (50% par exemple).Chez moi à 2 personnes dans 200 m2, cette valeur est rarement dépassée en hiver, la ventilation ne se mettrait que rarement en marche. Qu'en pensez-vous ? Y a-t-il des contre-indications à cette solution ?Merci.
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Y
<br /> <br /> <br /> <br /> C'est une assez bonne solution, du moment qu'il y a toujours un petite ventilation même quand le(s) moteur(s) de ventilation est(sont) coupé(s).<br /> Cette petite ventilation peut tout simplement se faire naturellement via les conduits de ventilation eux-même, s'il y a un tant soit peu de tirage. C'est à dire un réseau pas trop tordu (peu de<br /> pertes de charge), pas trop à plat et surtout pas avec une évacuation très basse (sinon pas de tirage), et pas trop étanche à l'évacuation: pas de clapet métallique à joint, ou clapet par simple<br /> feuillard plastique, voire pas de clapet du tout!<br /> Cette petite ventilation correspond à la très petite vitesse des moteurs de VMC hygrostatée performante. Il permet de conserver une évacuation minimale permanente des polluants de l'air<br /> intérieur: fumées/micro-poussières très volatiles, COV, monoxyde et dioxyde de carbone...<br /> Une amélioration très notable et très utile est de coupler cette sorte d'hygrostat avec la lumière des toilettes, et une minuterie qui force un temps de fonctionnement mini d'une dizaine de<br /> minutes après extinction de la lumière ou "extinction" de l'hygrostat. C'est mieux pour les mauvaises odeurs, et ça fait un système plus stable pour la gestion de l'humidité.<br /> <br /> Cordialement<br />         Yoghourt<br /> <br /> <br /> <br />